Vivre sans images mentales : comprendre l’aphantasie
L’aphantasie est une condition neurologique caractérisée par l’incapacité à générer volontairement des images mentales.Bien que ce phénomène ait été décrit pour la première fois par Francis Galton en 1880, il est resté largement méconnu jusqu’à ce que le neurologue Adam Zeman de l’Université d’Exeter le nomme « aphantasie » en 2015
Qu’est-ce que l’aphantasie ?
L’aphantasie se manifeste par l’absence d’imagerie mentale volontaire. Les personnes concernées ne peuvent pas visualiser des objets, des visages ou des scènes dans leur esprit. Cependant, cela ne signifie pas qu’elles manquent d’imagination ou de créativité. Elles peuvent penser, rêver et se souvenir, mais sans recourir à des images mentales.
Prévalence et formes de l’aphantasie
Selon les recherches, l’aphantasie toucherait environ 2 à 6 % de la population. Elle peut être congénitale ou acquise à la suite d’un traumatisme cérébral, d’un accident vasculaire cérébral ou d’une maladie psychiatrique. Il existe également des variations dans les modalités affectées : certaines personnes peuvent avoir une aphantasie visuelle, auditive, olfactive ou kinesthésique.
Découverte et prise de conscience
De nombreuses personnes découvrent leur aphantasie tardivement, souvent par hasard, en réalisant que leur expérience mentale diffère de celle des autres. Cette prise de conscience peut survenir lors de discussions sur la visualisation mentale ou en lisant des articles sur le sujet.
Comment découvre-t-on qu’on est aphantasique ?
Souvent, c’est un échange banal qui provoque le déclic :
« Quand tu lis un livre, tu vois les scènes dans ta tête ? »
« Tu veux dire… littéralement ? »
C’est en comparant leurs expériences mentales à celles des autres que les aphantasiques découvrent leur particularité. Ce décalage peut être vécu comme un choc, une révélation, voire une détresse — surtout s’il a été ignoré pendant des années.
Impact sur la mémoire et la planification
L’aphantasie peut influencer la mémoire autobiographique et la capacité à se projeter dans l’avenir. Les personnes aphantasiques ont souvent des souvenirs moins détaillés et éprouvent des difficultés à imaginer des scénarios futurs. Cela peut affecter la planification, la prise de décision et la créativité.
Créativité sans images mentales
Contrairement aux idées reçues, l’aphantasie n’entrave pas nécessairement la créativité. Des artistes, écrivains et scientifiques aphantasiques ont développé des stratégies alternatives pour créer et innover. Par exemple, certains artistes travaillent à partir de modèles concrets ou utilisent des descriptions verbales pour guider leur processus créatif.
Recherche et perspectives
Les recherches sur l’aphantasie sont encore récentes, mais elles suscitent un intérêt croissant. Des études en neuroimagerie cherchent à comprendre les mécanismes cérébraux sous-jacents, tandis que des enquêtes explorent les implications cognitives et émotionnelles de cette condition. La reconnaissance de l’aphantasie ouvre de nouvelles perspectives sur la diversité des expériences mentales humaines.
L’aphantasie comme richesse cognitive
L’aphantasie peut être vue comme une contrainte, mais aussi comme une source de richesse cognitive. En l’absence d’images mentales, certaines personnes :
-
Ont une mémoire conceptuelle très développée
-
Pensent en mots, en schémas logiques ou symboliques
-
Possèdent une très grande concentration (moins de distractions mentales)
-
Développent un regard différent sur la créativité
Et comme souvent, ce qui nous différencie peut devenir une force, dès lors qu’on le comprend, l’accepte et qu’on adapte les outils à notre mode de fonctionnement.
Stratégies et accompagnement pour mieux vivre avec l’aphantasie
Bien qu’il ne s’agisse pas d’une « pathologie », l’aphantasie peut créer des décalages émotionnels, relationnels ou professionnels. Voici quelques solutions concrètes pour mieux l’appréhender :
1. Psychoéducation et prise de conscience
Comprendre que cette condition existe, qu’elle est partagée par d’autres et n’est pas une anomalie est essentiel. Il existe aujourd’hui des groupes d’échange en ligne (forums, Discord, groupes Facebook) où les personnes concernées partagent leurs vécus.
2. Accompagnement thérapeutique adapté
Certaines approches psychologiques peuvent être modifiées pour s’adapter à l’aphantasie :
-
Thérapie comportementale et cognitive (TCC) : en privilégiant des outils verbaux et des ancrages concrets plutôt que des visualisations.
-
Hypnose non visuelle : certaines techniques se basent sur des ressentis corporels, des symboles verbaux ou des sensations auditives.
-
Thérapie narrative ou journaling : écrire ou raconter ses expériences renforce la mémoire conceptuelle.
-
EMDR ajustée : bien que reposant souvent sur l’imagerie mentale, cette thérapie peut être réadaptée avec l’aide d’un praticien averti.
3. Techniques alternatives à la visualisation
Pour les activités qui nécessitent normalement une imagerie mentale (sport, relaxation, méditation), on peut utiliser :
-
Le ressenti corporel : par exemple, au lieu de « voir une lumière », ressentir une chaleur dans la poitrine.
-
Les métaphores verbales : utiliser un langage imagé sans exiger une « vision mentale » (« imagine que tu es un arbre enraciné »).
-
L’audition intérieure : certaines personnes entendent mentalement les voix, les sons ou la musique (qu’on appelle parfois hyperphantasie auditive).
-
Le schéma physique ou le dessin : créer des mind maps ou des croquis pour organiser ses pensées.
4. Faciliter l’apprentissage
À l’école ou dans les formations, l’enseignement s’appuie souvent sur des supports visuels et de la visualisation. Les personnes aphantasiques peuvent développer des stratégies comme :
-
Répéter à voix haute
-
Prendre des notes détaillées
-
Utiliser des associations verbales ou logiques
-
Enregistrer les cours pour les écouter ensuite
-
Apprendre par le mouvement (kinesthésie)